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Bastien
Nozeran. Un nom pour plusieurs métiers avec un dénominateur commun : la
passion de la danse.
Formateur,
chorégraphe, danseur interprète. 3 casquettes pour une personnalité toute en
nuances. Bastien c’est le feu et la terre. L’énergie à l’état pur canalisée par
cette force tranquille.
C’est à Bagnolet, dans le sud-est parisien, que nous nous retrouvons
pour dresser un bilan de son parcours, de ses projets.
Myriam. Je crois savoir que tu es « un enfant de la
danse » dans le sens où tu côtois cet élément depuis ta petite enfance …
Bastien. Ma mère est professeur de modern jazz. Elle a
ouvert son école il y a bientôt 30 ans à Lézignan-Corbières. C’est à travers
son enseignent, ses cours et ceux d’intervenants extérieurs que je découvre la
danse. J'étais très jeune alors, c'est vrai ! Depuis, je danse.
Au moment
de choisir une orientation, je me dirigerai pourtant vers des études
d’ingénieur, dont je serai diplômé … mais même en poste, la danse fera toujours
partie intégrante de mon quotidien de façon intense.
Si bien
qu’au bout de 3 ans à porter la casquette d’ingénieur la semaine, et celle de
danseur pendant mes temps libres … la danse devient une évidence,
professionnellement parlant.
A cette
époque je suivais les cours de Ray Morvan, qui venait intervenir à
Lézignan-Corbières lorsque j’étais ado. C’est quelqu’un avec qui je continue
à travailler, en tant que danseur interprète, pour sa compagnie L’As
de Trèfle. Nous nous produisons actuellement, avec la création Racine.
Myriam. Ingénieur et danseur en semi-professionnel …
c’était donc pour toi une période très intense j’imagine.
Bastien.
C’est vrai, ma vie était extrêmement remplie. Je ne souhaite pas donner de
détails sur l’ingénieur, nous sommes ici pour parler danse ! A cette
époque, il s’agit effectivement d’une activité que j’exerce en
semi-professionnel, avec une part d’interprétation (scènes et festivals mais
aussi mes débuts dans l’enseignement (stages et ateliers).
C’est à
cette même période que je passerai mon DE (diplôme d’état qui permet
d’enseigner la danse) à Montpellier.
Myriam. J’imagine qu’à un moment, il s’agit de faire un
choix.
Bastien. En effet, et la vie me conforte dans la voie de
la danse.
Le volet
« enseignement » se concrétise par l’obtention du DE, temps de
formation sur 2 ans, avec diplôme à la clé.
2002 est
l'année où je commence vraiment à vivre de la danse, avec plusieurs
scènes, dont :
L’Opéra
Háry János au Corum du Festival Radio France
Montpellier
L’Opéra
Nabucco de G. Verdi aux Arènes de Nîmes
Le
Boléro de Béjart (figurant danseur), en Odyssud-
Spectacles à Blagnac
En
2003 je m'installe à Paris et cet ancrage me permet de développer mon
activité en tant qu'enseignant, avec des cours, des ateliers
(enseignement métissé de jazz, hip hop, moderne, contemporain et
« contact » ) ainsi que, toujours en parallèle, des expériences en
compagnie.
Myriam. Retiens-tu de cette période une expérience
plutôt qu'une autre ?
Bastien. Oui. En 2003, une expérience que je peux
estampiller de "véritable tournant chorégraphique". Ce seront 4
années en immersion au sein de la compagnie Créacorsica, avec des temps
de "résidences" afin de créer une pièce.
La
chorégraphe Pat'Obine travaille alors sur un projet de création : Neige
Ecarlate.
Une fois
la création achevée, nous nous produirons pendant 3 ans, notamment en
Corse.
Myriam. Parle nous du travail de Pat'Obine, du comment tu
as vécu cette expérience en immersion.
Bastien. Pat’Obine utilise comme méthodologie de
travailler par tableaux, par résidence, par le mouvement libre. Si j’avais des
bases en contact et de partenariat, le temps de résidence pour cette création a
été extrêmement enrichissant dans ce domaine ; mais aussi humainement et
artistiquement.
Ce qui
est ressorti de cette expérience pour nous danseurs, c’est une notion de grande
liberté dans la danse. Sans pour autant tomber dans l’anarchie…
Pat’Obine
possède une approche chorégraphique et créative qui n’appartient qu’à elle, et
extrêmement enrichissante. Elle a vraiment su trouver le juste milieu entre
liberté et contraintes, afin que nous puissions explorer notre propre
« palette chorégraphique » jusqu’au bout. Pour cela, il nous a été
nécessaire de reprendre à la base les composantes du mouvement : l’espace
(intérieur, scénique, etc), l’énergie (est ce que c’est léger est ce que c’est
dense …) et le temps (le rythme, la musique, les comptes).
Du coup,
une porte s’est ouverte en moi avec Neige Ecarlate. Un porte coté
« contact ». Et au jour d’aujourd’hui je n’ai pas
l’impression que la pièce dans laquelle je me suis aventuré ait des murs !
Enfin, disons que l’exploration de ce champ est loin d’être achevée. Et c’est
une optique qui donne un sens profond à ma recherche chorégraphique.
Myriam. Merci pour le partage de cette création,
j’ai passée 1h dans un autre univers. La création Neige Ecarlate est un
condensé de beauté et de force, un « poème chorégraphique » où
« Sept danseurs jaillissent du blanc et sur le blanc éclaboussent l’espace
de vie et de liberté dans un va et vient instantané et inédit entre danseurs,
création lumière et images foisonnantes réalisées en direct. » A voir
absolument.
As tu
travaillé dans d’autres compagnies ?
Bastien. Oui : dans la compagnie de Dominique Lesdema
en tant qu’assistant chorégraphe et danseur, à partir de 2005. De cette
collaboration nait la création Equilibre, qui évoluera avec
plusieurs équipes de danseurs, et que l’on emmènera jusqu’en Allemagne (2008).
En
parallèle des compagnies, je fais des plateaux télé, événementiels, comédie
musicale, etc …
En 2009
je me lance dans un projet de compagnie : Incidence. D’un
travail en binôme nait Penta pour Initial Project Evénementiel. Je
prends alors conscience de la nécessité d’une régularité quant au travail de
compagnie ; et créé alors une nouvelle équipe qui dansera 612, 729
et 8XX.
En 2012,
Incidence s’arrête, et je me recentre complètement sur l’enseignement pour
apporter une plus grande cohérence entre la formation du danseur et son
entrainement quotidien.
PurE ________________________
Myriam. En 2013 nait la compagnie PurE.
Raconte nous.
Bastien. Il y avait en moi un embryon d’idée pour PurE :
la matière était là et l’expérience ainsi que l’humain sont venus
renforcer ces convictions. C’est à travers certaines de mes élèves,
véritablement en adéquation avec le travail d’investigation chorégraphique que
je propose, que j’ai pu trouver les danseuses / interprètes.
Finalement,
PurE est née de façon très organique, avec en premier lieu l’envie de
partager cette matière chorégraphique qu’apporte le contact.
Dès les
premières séances de travail sont nées des esquisses de créations. Et c’est en
voyant le résultat en scène 1, 2 puis 3 fois, que j’ai su qu’il y avait matière
à un projet de compagnie. Finalement, c’est sur scène qu’est née PurE ;
c’est là que j’en ai eu la vision. Et à ce stade, la synergie du groupe était
déjà en route, humainement comme artistiquement.
Myriam. PurE, au jour d’aujourd’hui, c’est
quoi ?
Bastien. 6 danseuses permanentes et une première
création qui a commencé à se produire : PurEmotion
Myriam. J’aimerai, afin de pouvoir mieux aborder cette
création, comprendre sur quelles bases et techniques tu travailles. Tu parlais
de contact … de quoi s’agit-il ?
Bastien. Il existe différents types de contact.
Techniquement,
le contact passe par l’équilibration des tonus (principes révélés avec la
chorégraphe Pat’Obine ; mis en pratique au fil de ma carrière ;
approfondis et nourris à travers les expériences avec mes partenaires).
En terme de création, il s’agit d’une recherche à deux ou plus, pour
trouver un mouvement ensemble.
On se
rapproche de la philosophie des arts martiaux par l’utilisation de l’addition
des forces de chacun.
Les
portés sont très présents en contact.
Le
contact est plus qu’un duo pour moi. Mais dans le mot "contact" je
mets avant tout la notion de qualité. Je veux dire par là que c’est le
travail qualitatif de deux danseurs qui va donner un 3eme type de danse.
On
s’imagine qu’il faut beaucoup de force physique pour porter, mais en réalité
c’est une expérience qui se base comme les arts martiaux sur des notions
profondes d’énergie, afin d’utiliser les forces et les qualités de chacun pour
créer une forme en toute efficience. Pour démontrer cette idée, J’aime bien
faire une démo avec la plus petite et chétive des élèves présente dans le cours
… !
Il y a
une raison au fait que je travaille beaucoup en ateliers. Ils constituent des
temps de recherche, d’investigation chorégraphique, ensemble.
Myriam. Il est important pour toi je crois, ce mot
« ensemble »
Bastien. Oui, autant que le mot
« efficience » : utiliser de façon optimale les moyens
disponibles. Et ENSEMBLE effectivement, je sais qu’on va loin. C’est plutôt
« proactif » ça, non ?
Myriam. Oui tout à fait ! … rires. Et
puisqu’on en parle, il me semble que le contact, en soi EST proactif.
Bastien. Complètement et infiniment. Mais pour situer
le contact en danse, il faut préciser que ma technique de base est celle du
moderne (formation jazz / classique / contemporain / hip hop ). Le contact
vient enrichir cette base, et cela a bien évidement
fait évoluer, transformé mon style. Cela dit une chose est claire :
je ne veux pas d’un travail dissocié entre contact et technique moderne.
Mon style
actuel est une résultante du mix des 2.
Mais le
contact, c’est une exploration sans fin. Avec mes partenaires, cette
exploration est pour moi aussi une investigation sans cesse renouvelée. Il y a
tant de possibles à explorer dans cette voie…
Myriam. Comment en es-tu venu à ce travail
d’investigation à travers le contact ?
Bastien. Le contact, c’est venu de façon
instinctive. Comme quoi, on porte bel et bien certaines choses en soi.
Cela dit
il y a eu un tournant dans ce domaine. J'ai évoqué mon expérience avec la
chorégraphe Pat'Obine et l'immersion au sein de sa compagnie CréaCorsica,
pendant 2 ans ... avec en finalité la création Neige Ecarlate. Cette
expérience m'a nourri de façon très intense, très profonde. J'en ressens
toujours les apports dans mon travail d'aujourd'hui.
Contact ___________________
Myriam. Au final, après des expériences dans l’un et
l’autre domaine, est ce que tu préfères créer ou danser pour d’autres
chorégraphes ?
Bastien. Je préfère créer. Partager mes propres créations
avec les danseurs, un public. Partager ma vision de la danse.
Cela dit
j’apprécie également être danseur interprète, c’est toujours enrichissant. Par
contre, une chose indispensable pour moi en tant que danseur, c’est
d’interpréter le message profond des chorégraphes.
Myriam. Puisque tu parles de message, j’ai envie de
partir sur le sujet de la « transmission ». Qu’est ce que c’est pour
toi ?
Et que
souhaites tu transmettre ?
Bastien. La transmission, elle se fait d’abord dans les
cours et ateliers : partager de l’expérience et de la technique.
Cela dit
et malheureusement, nombreux sont ceux qui ne viendront jamais en cours !
Reste
l’option de la transmission via la création. La scène, le public.
Il se
produit là un réel échange.
Sur scène
je transmets ma vision de la danse, de la vie aussi en un sens.
A travers
ma dernière création, PurEmotion, je souhaite transmettre … des
émotions.
Myriam. Parle nous un peu de cette création …
Bastien. PurEmotion, c’est une création qui se
scinde en plusieurs sous-créations, pour plus de possibles et dans une idée de
composition diversifiée à partir de plusieurs pièces courtes.
Le volet
technique y tient une belle place, via une mise en scène en images
(projections), l’usage de panneaux mobiles réfléchissants qui offrent aux
danseuses un réceptacle de leur propre image, également en mouvement.
Avec PurEmotion,
je ne veux pas « saisir » le spectateur, l’accrocher de force. Je
veux que le spectateur tombe réellement amoureux de cette création.
Myriam. Est ce que PurEmotion raconte une
histoire ?
Bastien. Non. En fait je n’aime pas créer des pièces trop
descriptives, et j’ai voulu avec la compagnie PurE ne pas être dans
cette démarche qui consiste à définir les rôles des danseurs. Parce que
finalement, ce côté didacticiel limite le scénario naissant !
Du coup,
c’est difficile de mettre des mots sur cette création. Mais on peut en voir un
extrait sur mon site
Myriam. Et bien … on n’imagine pas tous les éléments
qu’implique le fait d’être chorégraphe !
Bastien. Il y a le volet humain, et puis la matière
chorégraphique. Humainement, je recherche l’harmonie avant tout avec les
danseuses, et elle s’est construite au fur et à mesure de ce qu’elles m’ont
donné à voir, en création ou sur scène. Les deux vont de pair, finalement.
Concernant
la matière chorégraphique, c’est un peu plus compliqué à expliquer, mais je
vais essayer de poser des mots sur des notions abstraites.
Disons
qu’en danse, pour créer du mouvement, il y a ces trois composantes :
l’espace,
l’énergie et le temps.
L’espace :
scénique, intérieur, extérieur, en haut, en bas, les plans (plan frontal,
sagittal, etc.) Il y a l’espace aussi entre moi et les autres … bon comme
tu vois, l’espace c’est en fait très vaste !
L’énergie
c’est tout ce qui va être qualitatif par rapport à un mouvement :
mouvement dense, léger, fluide, … ça c’est du qualitatif, de l’énergie.
Le temps
… c’est celui que prend un mouvement, mais pour nous c’est de façon plus simple
la musique, même si le mouvement peut se faire en silence. Un mouvement saccadé
par exemple, dans le temps il va s’arrêter et reprendre, s’arrêter et reprendre
… mais d’un point de vue énergie il peut être « saccadé résonnant »
par exemple. Donc il est possible à travers des expressions de combiner
de l’énergie et du temps. Par exemple un mouvement fluide il va se développer
dans l’espace, il pourra aller de gauche à droite, il va partir pourquoi pas du
bras. Le bras c’est l’espace aussi, c’est une zone qui détermine une
destination. Avec toutes les nuances que cette destination peut comporter …
Maintenant,
envisageons ces mêmes éléments d’un point de vue pédagogique. Dans le cadre de
mon enseignement je suis souvent confronté à la même réflexion de la part de
mes élèves : « oui mais moi, tout ça je trouve pas ça
LOGIQUE ! ». Ce à quoi j’aime répondre « Ok, mais essaie
d’envisager le fait que ce n’est pas DANS TA LOGIQUE A TOI ACTUELLE ».
Parce
que au final, j’enseigne ces exercices qui ne leur paraissent pas
logiques … Parfois je vais les titiller sur des réflexes physiques, par
exemple je m’amuse à faire un exercice où je fais tomber à droite et je leur
demande de soulever le pied droit pour aller le glisser sur la droite, alors
qu’ils sont déjà à défaut sur ce pied là. Mais le fait de jouer comme ça sur
cette notion, cette MOTION même (façon de se mouvoir) va permettre d’avoir un
travail qualitatif, qui va devenir à un moment donné organique.
Et à ce
stade (l’organique) cette démarche ne paraît toujours pas logique.
Dans la
dernière étape, de l’organique on passe à l’instinctif. Et c’est à ce stade que
l’improvisation prend tout son sens. Dans l’improvisation en danse, tous
les mouvements organiques deviennent de plus en plus instinctifs.
Et une
fois que tu es dans le mouvement organique-instinctif, et bien pour toi … tout
ça devient LOGIQUE.
Il ne
faut pas oublier que tout est mouvement, notre esprit également. Et une logique
peut tout à fait s’apprivoiser, s’élever, se transformer.
Voilà le
cheminement de ma démarche, dans une de ses composantes.
Myriam. Des composantes, y’en a t-il beaucoup pour
« faire la danse » ?
Bastien. Je peux essayer de répondre à cette question en
synthétisant certains éléments de base. Allons y !
Tout ce
que je viens d’évoquer, on va dire que c’est du mouvement à son niveau premier.
Et quand
tu es chorégraphe c’est ce niveau là que tu travailles d’abord. Travailler à un
second niveau pour moi, c’est le contact. Et là vient à mon sens la
dénomination de « danse moderne ».
Avec le
contact, 1+1 = 3. C’est à dire : 1 personne + 1 personne (2 types de motion)
= un 3eme élément, celui des chemins d’expression trouvés ensemble.
De là tu crées d’autres façons de te mouvoir, d’autres univers et
d’autres capacités. C’est un travail qui peut être investigué à l’infini.
Du
contact nait la création chorégraphique. C’est à dire : une mise en
espace, les entrées, les sorties, ce que tu souhaites exprimer, les décors,
comment tu rentres en contact avec ce décor.
Est ce
que c’est simplement un décor qui te met en valeur ou si à un moment donné tu
entres en interaction avec des éléments scéniques.
Sur PurEmotion,
comme je l’expliquais avant, l’usage de miroirs mobiles manipulés
par les danseuses deviennent réceptacles de l’image, et de ce fait peuvent être
aussi en contact avec l’image.
Tout ça
pour que le public soit en immersion au maximum. Il ne l’est pas physiquement
parce que encore aujourd’hui la technique ne nous permet pas d’exploiter ce
genre d’idée.
Myriam. Tu as ce genre d’idée ?
Bastien. On peut tout imaginer ! Par exemple une
scène qui serait mixée en 3D avec le public.
Il y a
d'ailleurs une scène que j’imagine depuis l’âge de 15 ans : une scène en
plexiglass à presque 45 degrés, très légèrement inclinée. Avec le public
dessous installé sur des fauteuils inclinés aussi, et qui verrait le
spectacle par transparence et par en dessous.
Myriam. Ouahou ! Le Futuroscope de la Danse …
Bastien.
Oui, il y a plein de choses à faire, après c’est toujours une question de
moyens. Le spectacle vivant souvent doit se contenter de créer avec les moyens
du bord. L’imagination travaille à fond et c’est ce qui en fait la magie aussi.
Tout le charme est là, bien souvent …
Ces
choses là je rêve de les faire dans mes derniers temps de chorégraphe.
Myriam. Je souhaite longue vie à tes projets
chorégraphiques. Des idées pour ta prochaine création ?
Bastien. Passer du : transmettre de l’émotion à
… transmettre des sensations. Avec une prochaine création :
PureSensations.