En Thaïlande, la danse revêt un caractère traditionnel et sacré. Ce n'est que récemment que cet art a pu prendre le chemin de la modernité, et ce à très petite échelle. En effet, la Thaïlande possède depuis des temps très anciens ses propres techniques et sa propre esthétique de danse, très perfectionnées et très exigeantes. Elles datent de l’époque où l’Asie du Sud-Est avait d’étroits liens avec la culture indienne. La Thaïlande adopta non seulement la religion et la littérature indiennes, mais aussi les techniques de danse. A travers les siècles, les éléments indiens se mêlèrent avec l’esthétique locale, créant les brillantes traditions classiques qui sont toujours en vogue. Une de ces traditions est la danse thaïlandaise, qui aux XIVe et XVe siècles était encore influencée par la tradition des Khmers. Aux XVII et XVIII e siècles, quand ses formes actuelles se développèrent, la danse thaïlandaise devint partie intégrante du culte du Roi Divinisé. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, plusieurs des plus belles formes de danse en Thaïlande furent considérées comme la propriété privée du souverain de la cour. Pendant le règne du roi Chulalongkorn (1868-1911), la danse devint plus accessible au grand public, et commença à intégrer des éléments de l’art dramatique occidental. Pourtant son public privilégié était encore constitué de membres de la Famille Royale ou de la noblesse. Quand la Thaïlande devint une monarchie constitutionnelle en 1932, les formes de danse classique furent confiées à la Faculté des Beaux Arts, dont les professeurs fréquentaient la cour. La danse gardait donc son caractère royal, et servait aussi à véhiculer des idées patriotiques ou politiques.
Dans ce contexte, on comprend aisément qu’en Thaïlande (comme dans bien d’autres pays d’Asie) l’individualisme et l’expression libre n’avaient pas la même importance en matière d’art qu’ils ne l’avaient en Europe ou aux Etats Unis au cours du Xxe siècle ; le “modernisme” européen ou américain n’arrivait qu’à travers quelques spectacles de passage, et ne faisait pas partie des traditions pédagogiques. Quand un jeune danseur thaïlandais voulait se frotter au modernisme occidental, il fallait donc qu’il ou elle quitte son pays pour étudier soit en Europe, soit aux Etats-Unis. En 1980, c’est ce qu’osa faire Naraphong Sharasri, pionnier de la danse moderne en Thaïlande.
La technique de base de Naraphong fut la danse classique thaïlandaise. Lorsqu'il quitta son pays, c'est à Londres qu'il se mit à étudier le ballet occidental (les styles fondamentaux de la danse moderne américaine, mais aussi les techniques de Cunningham et de Limon). Ce n'est qu'après cet apprentissage qu'il revint à une influence asiatique, avec le "Butoh", danse japonaise née des cendres des bombes atomiques de 1945. Cependant il ne s’appropria pas cette forme de danse trop expressionniste à son goût. Dans son propre art, Naraphong ne s’est jamais limité à une seule technique. A ce sujet, il raconte que quand il travaillait avec de remarquables danseurs japonais comme Keiko Takeya et Teru Goi “Keiko Takeya employait la technique Graham, Teru Goi dansait le butoh, et quant à moi, mon style était plutot post-moderne”.
Malgré ses expériences à l'étranger Naraphong n’a jamais oublié ses racines. Tout au long de sa carrière, il a su mettre en avant l'esthétique qui est la sienne, la danse traditionnelle thaïlandaise. A l'heure actuelle il est rentré au pays, et continue d'exercer son art avec passion, notamment en tant que professeur au sein de l'Université de Bangkok.