A l’occasion du congrès de Posturologie Parisien sur lequel nous serons présents à nouveau en ce mois de janvier 2017, voici une présentation de ce qu’est la Posturologie, discipline encore méconnue, suivie de l’interview d’Emmanuel Baïs, l’un de ses représentants :
La posturologie clinique, véritable enseignement de
neurophysiologie appliquée, apporte aux divers thérapeutes s’intéressant à
l’homme debout, les bases fondamentales et cliniques de la régulation
posturale. Dans l’intérêt des patients, la posturologie offre aux thérapeutes
un langage, des tests cliniques communs d’analyse du tonus postural et la
connaissance des différents traitements posturaux.
LES OBJECTIFS DE LA POSTUROLOGIE CLINIQUE
- Comprendre les mécanismes de la régulation de la stabilité posturale
- Examiner le tonus postural des patients par l’intermédiaire de tests validés
- Classifier les dysfonctions du patient (généralisées, latéralisées, localisées)
- Dissocier les entrées sensorielles (podale, stomatognathique, vestibulaire, visuelle) et sensitives (proprioception et viscéroception) de la sortie du système
HISTORIQUE
Dans les
années 50, Baron montre que de légères modifications proprioceptives
entraînent des adaptations posturales et locomotrices majeures ; ces dernières
générant un cortège de pathologies sont traitées par des stimulations
posturales au niveau des organes sensoriels.
Suite aux
travaux sur les réactions d’équilibration, Gagey développe la notion de
Système Postural Fin (SPF), organise l’examen clinique postural et crée la
Posturologie .
Da Cunha décrit en 1979, le syndrome de
déficience postural qui élargit le syndrome post-commotionnel en y incluant les
troubles de l’axe corporel.
En 1985, Villeneuve et collaborateurs apportent les connaissances podologiques orientées vers la
posture et enrichissent les perspectives cliniques (posturo-dynamique, épine
irritative d’appui plantaire -zone nociceptive qui va perturber la posture-,
chaînes neuromusculaires, etc...) et thérapeutiques (semelles de posture) en
développant la Posturopodie.
En 1994, Marino
et Villeneuve suite à des recherches cliniques créent la Posturodontie.
Cette thérapeutique posturale utilise des réactions d’orientation, à point de
départ stomatognatique notamment labial et lingual par l’intermédiaire de
gouttières ou de subtils collages (alph) sur les faces vestibulaires ou
linguales des dents.
En 1996, Lemaire
et Villeneuve développent une véritable Thérapie Manuelle
Informationnelle au service de l’homme debout : la Posturothérapie, à partir
d’une synthèse entre les recherches fondamentales en neurosciences et les
découvertes cliniques.
INTERVIEW d’Emmanuel Baïs, posturologue, podologue et
ostéopathe ; membre de l’API et du
Comité d’Organisation des XXèmes Journées de Posturologie Clinique, qui se sont
déroulées en ce début d’année 2013.
Myriam Kientz_ Tout d’abord un mot sur ce bel événement, auquel nous avons beaucoup apprécié participer. Beaucoup ont répondu présents afin
d’assister aux conférences dans l’amphithéâtre de la Faculté de Médecine. Quels
retours avez-vous eu ?
Emmanuel Baïs_ Cette vingtième édition est un vrai succès et elle est
marquée par l’ouverture de plus en plus effective à l’international. Après la
Belgique l’année dernière, ce sera le Brésil qui organisera les prochaines
journées de posturologie. Grâce aux efforts constants de Philippe Villeneuve et
de l’API (association de posturologie internationale) ce congrès est l’occasion
d’une vraie synergie entre les scientifiques qui font avancer les connaissances
fondamentales et les cliniciens qui, par leur nécessité de répondre aux
problèmes posés par les patients, défrichent de nouvelles voies.
Le vrai succès de ces journées est de pouvoir réunir ces
deux mondes parfois opposés.
J’en profite pour vous remercier ainsi que toute l’équipe du
laboratoire Qenoa pour votre fidèle partenariat.
Myriam_ C’était un plaisir pour nous d’être présents, en retour
merci pour votre accueil ! Cet événement fut riche aussi bien professionnellement
qu’humainement. Quand
on lit la description théorique de la posturologie cela semble un peu compliqué,
pouvez-vous, avec nos mots, nous dire comment vous appréhendez cette
discipline ?
Emmanuel_ Je vais tenter d’éclaircir la question.
En préambule intéressons-nous aux concepts de posture et de
posturologie car ils sont souvent confondus. La posture fait référence à la
position, à la manière dont on se tient, alors que la posturologie s’intéresse
à la régulation de cette posture.
Souvent quand les gens apprennent que je suis posturologue, ils me demandent tout
de suite « est-ce que je me tiens bien ? » … or le fait de bien se tenir est la conséquence d’une bonne régulation. On
peut dire que c’est la partie émergée de l’iceberg : la posture est le
reflet de sa régulation. L’action du posturologue se place donc en amont, on
essaye de moduler les informations pour redonner au système ses capacités
d’adaptation.
Pour être encore plus clair, prenons un exemple concret : quand
quelqu’un ne se tient pas droit (surtout s’il s’agit d’un enfant) on ne manque
pas de lui dire « redresses-toi ». Il le fait donc. Mais … pour
combien de temps ?
En général, pas longtemps car pour cela il doit utiliser la volonté,
ce qui met en action les muscles qui sont faits pour le mouvement. Le problème
c’est que ces muscles fatiguent vite. Alors que les muscles de la posture sont
plutôt à commande automatique et que leur efficacité dépend du bon traitement
des informations données par les capteurs liés à l’équilibre (la peau du pied,
la bouche, l’oreille interne et l’œil). Ces capteurs peuvent être perturbés par
des parasites tels que des mauvaises positions articulaires, des irritations
viscérales, des troubles émotionnels…
La posturologie apporte aux praticiens de différentes spécialités un
bilan et un langage communs facilitant la pluridisciplinarité, et leur permet
de mieux utiliser les outils dont ils disposent (semelles, thérapie manuelle,
lunettes avec prismes…).
Donc en résumé, le posturologue agit, grâce à ses connaissances sur
le fonctionnement de l’homme en tant que système biologique, sur les troubles de
la stabilité et les douleurs qui en résultent. La posturologie est une méthode
de traitement, une vraie pratique de prévention de ces troubles et également d’optimisation
de toutes les pratiques corporelles. Ces connaissances neurophysiologiques aident
aussi à mieux comprendre les mécanismes d’apprentissage, ce qui permet de les
optimiser, et sont donc un atout pour l’enseignement et la pédagogie.
Myriam_ J’imagine que le pied dans la posturologie a une importance de
premier ordre ?
Emmanuel_ Je vous remercie de le dire ! En effet c’est la seule partie en
contact avec l’environnement. Sans rentrer dans les détails, lorsque l’on parle
d’équilibre, on pense tout de suite « oreille interne », or pour être
plus proche de la réalité on devrait dire que l’oreille interne nous empêche de
tomber et gère plutôt l’équilibre de la tête qui doit être stable pour que
notre regard reste horizontal. Mais
l’équilibre fin (déplacement de l’axe corporel inférieur à 4°) est lui dépendant
des informations provenant du pied, ainsi la régulation se fait de manière économique
et permet grâce à des mouvements infimes des orteils de stabiliser l’ensemble
du corps, donc la tête, et ainsi ne stimule pas l’oreille interne. Par exemple
quand vous tendez le bras pour ouvrir une porte le premier muscle à se mettre
en action se situe au niveau du pied, bien avant ceux du bras, et heureusement
car sinon l’on vacillerait sous le poids de ce bras.
Cela permet de comprendre l’importance des semelles dans le
traitement postural.
Myriam_ Vous êtes un danseur passionné de tango ; cela fait 5 ans que
vous « fréquentez les bals » et vous aimeriez, dans un avenir proche,
passer à l’enseignement … c’est exact ?
Emmanuel_ Effectivement l’envie de transmettre est une passion, le tango est
d’une telle richesse qu’on ne peut qu’y succomber. Comme je vous l’ai dit
précédemment, la posturologie apporte des connaissances précieuses pour la
pédagogie. J’ai, avant d’enseigner la posturologie, pratiqué des arts martiaux
et enseigné la danse de couple pendant 10 ans. Ce parcours me pousse
naturellement à une application dans le tango qui, pour permettre une bonne
relation avec l’autre, nécessite une parfaite stabilité de chacun.
Myriam_ En effet, la posture en danse tango est un paramètre important … on
a toujours l’image en tête de danseurs bien droits … !
Emmanuel_ Votre question me permet à nouveau d’illustrer le lien de hiérarchie
entre la posturologie et la posture. Je rappelle que la posture est la conséquence d’une bonne régulation, un
enseignant de tango disait d’ailleurs : « la bonne posture ne se voit
pas ». C’est la stabilité qui permet d’avoir une posture droite et non
raide. J’expliquerais les choses ainsi : quand on cherche à imiter la
bonne posture on fait, je le rappelle, intervenir les muscles volontaires qui
rendent la position rigide, alors que la « bonne » posture est le
résultat d’une bonne stabilité, ainsi la position devient naturelle et ne
choque pas, « ne se voit pas ». Un exemple d’application pratique de
la posturologie dans l’apprentissage du tango (ou autre discipline corporelle).
Il est important lorsque l’enseignant explique un mouvement de rester debout et
en posture active car sinon on se débranche de son schéma corporel et on
assimile moins bien. C’est aussi pour cela que, quand je suis enseignant, j’évite
d’expliquer trop longtemps sans mettre les
élèves en action. Ce n’est pas toujours facile car quand l’on transmet on a
envie de prendre le temps d’expliquer pour que les mouvements soit le plus
juste possible, mais l’expérience montre qu’il est plus efficace de passer par
le corps que par la tête.
Myriam_ Vous qui êtes posturologue et podologue, peut-on concrètement
affirmer qu’il y a un lien entre pieds et posture ? Disons, est ce que des « problèmes » au
niveau des pieds (cambrure excessive, pieds plats, etc.) entraînent
automatiquement des conséquences sur la posture ? La réponse coule un peu de source, il est vrai
…
Emmanuel_ Et bien justement, non, ça ne coule pas de source … tout comme l’eau
d’ailleurs ;)
On peut traiter la posture avec des semelles sans qu’il y ait pour
autant de troubles du pied lui-même, car on agit sur le pied en tant que
capteur. De plus, il peut y avoir un trouble morphologique du pied sans
retentissement majeur sur la posture, ou bien ils peuvent être associés. Pour
dire les choses rapidement, l’action du podologue-posturologue peut être
indiquée qu’il y ait ou non de pathologie podale car l’action sur un capteur
retentit sur l’ensemble du système.
Myriam_ Enfin, dernière question : Avez-vous tendance à vous focaliser sur la posture des gens
lors des « bals » de tango, ou faites-vous l’effort de lâcher-prise
sur votre pratique de posturologue afin
de mieux profiter de la danse?
Emmanuel_ Je ne fais aucun effort de lâcher-prise car la posture étant une
conséquence, elle ne mérite pas la focalisation. Par contre le
plaisir pris et donné au partenaire mérite lui toute l’énergie possible ...
Myriam_ Un
grand merci, Emmanuel, pour cet échange. Et à bientôt pour la
prochaine édition des Journées de Posturologie, en 2014 plutôt deux fois
qu'une ! France et Brésil, pourquoi pas ...